Récit de Gaëlle qui a vécu 8 mois en Ouzbekistan. Ces lettres sont des e.mails qui racontent sa vie de tous les jours au pays des coupoles turquoise.
1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Samarkand le 7 juillet 2003
Assalam aleikum mes chéris !
J’avais promis à chacun d’écrire un grand mail cette semaine, autant le faire sous forme collective ; de toute façon je vous écris la même chose. Bon, je vais vous raconter ce que j’ai fait ces derniers jours, certains sont déjà au courant de certaines choses, mais tant pis si je me répète, j'espère que vous ne m’en voudrez pas.
Tout d’abord, le projet de partir entre collègues au Tadjikistan pour une
journée, le dimanche 22 juin, est tombé à l’eau à cause d’une crise majeure qui a éclaté au bureau. Je vous résume la chose :
Une erreur a été commise par Narguiza et par Dinara, une autre nana de l’agence. Une touriste (française) s’est plainte et a demandé le remboursement d’une partie des prestations touristiques. Le
scandale a éclaté et les deux ont été punies par Saad : Dinara est mise à pied pendant un mois (pendant lequel elle ne touchera pas son salaire) et Narguiza fait le boulot de Dinara pendant ce
temps, en plus de son propre boulot. Saad a convoqué tout le monde dans son bureau (sauf moi et Suzuki, le Japonais) et leur a dit, votre boulot c’est de la merde (mot a mot), vous ne méritez
rien, pas d’excursion au Tadjikistan pour vous. J'espère simplement qu’elle se fera plus tard dans l'été... (l’excursion).
A cause de cette histoire, Saad a resserré la vis à tout le monde : chaque 5 minutes de retard le matin, c’est un jour de salaire en moins, la petite cuisine où on se fait du thé ou du café n’est
plus ouverte qu’une 1/2 h le matin et 1/2 h l’aprèm’, chaque erreur commise ou chaque demande de remboursement de la part des clients sera déduite du salaire du coupable, etc. Bref, ce n'était
pas la joie toute la fin de la semaine du 19 au 21. L’ambiance s’est arrangée la semaine dernière, mais quand même...Je ne suis, bien sûr, pas concernée par toutes ces mesures, sauf pour les
pauses café, mais je n’en mourrai pas.
Je suis chargée de deux dossiers importants:
Le 1er dossier, ce sont 80 nouveaux Russes qui arrivent à Samarkand pour une conférence, ils restent 4 jours. Nous devons leur organiser leur séjour, logement, repas, spectacles, conférence,
ainsi que des activités du type jeux de piste dans Samarkand (autour du thème culturel et historique des monuments de la ville), rafting dans les montagnes et chasse au trésor dans le désert (où
ils devront trouver tous seuls leur nourriture et monter leur yourte eux-mêmes, ça promet...).
Le deuxième projet (avec la même firme russe), ce sont 150 nouveaux Russes encore, qui arrivent en octobre pour 2 jours pour une conférence également. Nous leur organisons aussi repas, logement,
conférence, spectacles, visites et activités (plus cool, ce sera promenade sur des ânes et tir a l’arc).
Shoista est aussi mise sur les projets, on en est à la recherche de partenaires pour les activités sportives, pour le barbecue en plein air. On élabore les menus de tous les repas, on discute de
la décoration avec Saad.
Les deux derniers jours de la semaine dernière, je me suis enfermée dans un bureau, où il devait faire entre 35 et 40 degrés, celui de l’architecte en chef de hôtel situé à côté de l’agence et,
sur une planche à dessin d’architecte, j’ai dessiné le plan des tables d’un repas pour les 150, qui se situera autour de la piscine d’un hôtel de luxe de Samarkand. C'était d’une complexité
extrême car il y a très peu de place autour de cette piscine et il fallait placer soit 19 tables de 8, soit 25 tables de 6 tout en pensant à mettre les buffets et les musiciens également. Saad
venait régulièrement me voir et se mettait à discuter avec Erkin, l’architecte en chef, ils se prenaient la tête pour placer les tables correctement, calculaient les mètres et centimètres qu’il
fallait laisser entre les tables et les chaises, réfléchissaient sur un projet de construction d’un pont sur la piscine pour permettre le passage de femmes pour un défilé de mode, enfin, le gros
bordel bien compliqué. Mes rapports, mon plan des tables, mes idées sur la décoration, les menus et l’organisation générale des deux projets ont, je crois, beaucoup plu à Saad. Il me donne de
plus en plus de responsabilités depuis, m'appelle régulièrement dans son bureau pour me demander mon avis sur quelques autres projets.
C’est cool de voir son travail apprécié.
A part ça, je suis encore allée à un mariage tadjik dimanche soir et je me rends
compte que j’avais promis de vous raconter le premier. En fait, le premier mariage que j’ai fait, était une cousine de Shoista qui se mariait, environ 300 personnes dans un restaurant, nous
étions à table avec Shoya, Goulia (la maman de la famille) et les 3 soeurs de Goulia.
Tout le monde au mariage a bien vu que j'étais étrangère. Les mamans et grands-mères tadjikes venaient me voir, me demandaient de danser avec elles, pensant peut-être réussir à me marier avec
leurs fils. La danseuse professionnelle, embauchée pour l’occasion, m’a accaparée pour toute la soirée pour danser avec elle.
Je dois dire que je n’ai pas mal assuré pour danser une danse tadjike que je ne connaissais pas du tout avant. Shoya m’a même dit que je me débrouillais mieux qu’elle pour ça. La danseuse pro
était gentille mais un peu bébête.A un moment, nous discutions ensemble et elle me demande quelle est ma musique préférée. Je lui réponds jazz, salsa, reggae. Elle s’exclame à son tour : «Haa
oui, j’adore ces groupes, ils sont super cool !!» C’est d’un niveau, n’est-ce pas...
Dans les mariages tadjiks samarcandais (ce ne sont pas les mêmes à Tachkent ou Boukhara), les fiancées doivent avoir le visage fermé et baissé toute la journée. En gros, elles doivent faire la gueule pour montrer que ce sont des jeunes filles bien élevées et sérieuses. Quel dommage, n’est-ce pas, le jour de son propre mariage...
Le mariage d’hier était beaucoup plus traditionnel, situé dans le quartier tadjik traditionnel, vers chez Narguiza. La mariée est une voisine de Narguiza, la soeur de sa meilleure amie. Nous sommes arrivées en milieu après-midi chez les parents de la fiancée pour aller voir la «chambres des robes», c'est-à-dire une pièce où sont suspendues toutes les robes que la future mariée portera plus tard, ainsi que des pièces de tissus de velours et de soie, des tentures murales (appelées suzani), des manteaux d’hiver, des chapeaux, des décorations, etc. Tout ça est offert par le fiancé ou sa famille. En fait, en Ouzbékistan, c’est le fiancé qui apporte une dot, il doit offrir les futurs habits de sa fiancée, les tissus, la vaisselle, les tapis, etc. Le futur couple logera chez les parents du fiancé et non pas le contraire. C’est pour ça que c’est mieux d’avoir beaucoup de filles, elles ne coûtent presque rien aux parents. Haha, ça arrangerait papa que je me trouve un Ouzbek ou un Tadjik.
En fait, il y avait deux mariages le même jour, deux frères qui se mariaient, l’un avec Amira, la voisine de Nargui, et l’autre avec une autre jeune fille.

Après la chambre des robes, nous sommes parties avec le cortège (500 personnes en tout) pour accompagner les couples à la mairie pour la signature officielle, chez le photographe pour les photos, etc. Bien sûr, le cortège klaxonne à tout va, les voitures se doublent, se redoublent, il faut attendre les retardataires, on a même perdu les deux voitures des mariés à un moment, bref, un joyeux bordel sympathique.
Le repas du soir se déroulait chez les parents des deux fiancés, des 2 frères. C'était un peu la concurrence entre les deux familles des deux jeunes filles : quelle était la plus belle des mariées, la mieux élevée, etc. La soeur d’Amira est venue me voir pour me demander quelle était la plus belle. En toute franchise, c'était sa soeur la plus belle, mais la robe de l’autre était plus belle que celle d’Amira (des robes blanches à l’européenne).
La danseuse professionnelle du 1er mariage était encore là, elle a halluciné en me voyant. Elle doit penser : "Ouaah, cette Française, elle fait tous les mariages de Samarkand ou quoi ?"
Amira m’a demandé de prendre le micro et de dire quelques mots et quelques souhaits de bonheur et de joie en français et en russe devant tout le monde pendant le repas. Je l’ai fait, sachant qu’elle en serait très fière et que ça ne me coûtait rien de le faire, sauf un petit peu de stress et de trac du fait de parler devant 500 personnes qui se taisent tous quand on annonce qu’une Française va prendre la parole au micro. Tout le monde se souviendra pendant un bon moment qu’au mariage d’Amira, il y avait une de ses amies (ce n’est pas vrai mais personne ne le saura) qui était Française et qui était revenue spécialement de France pour son mariage.
Nous sommes revenues du mariage à pied jusque chez Nargui avec une dizaine d’autres bonnes femmes tadjikes, des voisines. Ca plaisantait, ça commentait le mariage, ça rigolait dans tous les coins. Excellent. L’une des femmes m’a pris par le coude en marchant et m’a dit qu’elle m’invitait au mariage de son fils dimanche prochain. Je verrai si j’y vais, hihi.
Enfin, à part tout ça, j’avance un peu mon rapport de stage, je me repose, je bouquine un peu (quand j’ai le temps) et je tchatche toujours autant avec la famille le soir. Je me sens chez eux comme chez moi, ils veulent même que je reste plus longtemps à Samarkand après mon stage. Ils sont vraiment sympas. Depuis plus d’un mois, on a installé le fameux «kravat» (le lit où l’on mange) dehors dans la cour et on y mange tous les soirs, c’est vraiment comme chez les Romains de l’Antiquité. Quelle décadence mes aïeux...
Je me suis teint les sourcils avec le jus d’une plante du coin (qui n’existe pas chez nous) qui teint les poils. En fait, ça assombrit juste un peu les sourcils, ça ne se voit pas vraiment puisque les miens sont déjà sombres. Mais surtout, ça fait du bien de mettre ce jus autour des yeux, ça les repose, c’est bon pour la santé. Je deviens une vraie Ouzbeko-Tadjike !
En théorie, mon visa a été prolongé jusqu’au 11 octobre (à ce propos, il y a un
mois, il y a eu une erreur de la part de l’agence en ce qui concernait la prolongation de mon visa et le ministère de l'intérieur m’a donné une amende de 60 euros, c’est l’agence qui a payé bien
sûr...). Ce sont les dates officielles de mon stage. Mais Saad m’a demandé de rester un peu plus longtemps étant donné que le groupe de 150 Russes est à Samarkand du 10 au 13 octobre.
Je pense que je vais rester mais je vais m’arranger pour avoir un contrat et un salaire pour ces quelques jours de plus, sachant que le salaire moyen mensuel dans l’agence est de 60 euros... De
toute façon, ce ne sera qu’une semaine de plus, je pense, à voir.
Hier soir, Saad m’a demandé de venir au restaurant Oasis avec lui (c’est le resto où on emmène toujours les touristes et où la jeunesse dorée de Samarkand se réunit pour boire des bières) pour faire la connaissance d'un journaliste français que l'agence a invité en Ouzbékistan pour qu’il fasse un article sur l’Asie Centrale et sur l'agence dans son magasine (qui est du type «journal de bonnes femmes» avec cuisine, jardinage, culture, voyages, etc...).
C'était bien sympa, on discutait essentiellement en anglais, le journaliste était bien cool, il avait passé la journée au Tadjikistan et partait le lendemain pour le Kirghizstan puis après pour le Kazakhstan. Tout ça en 5 jours, c’est du délire ! La semaine prochaine, il sera à Lyon d’ailleurs pour son boulot.
Au restaurant, nous a rejoint (par hasard je pense) Shavkat qui est un guide germanophone employé par l’agence. Je ne l’aime pas trop, il est grande gueule et il me taxe toujours des clopes. Enfin, ce n’est pas trop le problème parce que ce n’est pas cher. Mais c'est un type bizarre. Il se marie dimanche, il a invité toute l'agence pour l’occasion. Nous partons samedi matin très tôt et revenons lundi dans la journée. Le mariage se passe dans les montagnes à 200 km de Samarkand dans la maison familiale de Shavkat qui est située à 2000 mètres d’altitude.
Les montagnes là-bas montent jusqu'à 4000 mètres d’altitude, j'espère que ça va être de la balle... Il nous a dit qu’on pourrait se baigner aussi. Je vous raconterai la semaine prochaine.
C’est la quatrième fois qu’il se marie et il s’est déjà marié deux fois avec la
même femme (la première fois et la troisième fois). Son troisième mariage était d’ailleurs en mars dernier et puis il a divorcée. C’est vous dire si c’est un mec stable...
Bon, je vous fais de gros bizous à tous,